Algérie 2009
Ca se passe plutôt bien ici en Algérie où nous sommes jusqu'à mi décembre avec George Steinmetz pour un reportage photo pour Géo et National Géographic.
Aucun pb de transport de nos 230 kg de matériel (2 paramoteurs en pièces détachées pour passer la sécurité aérienne, équipement de bivouac, de quoi affronter des nuits glaciales et les fortes chaleurs du Hoggar, et bien sur plein d'accessoires de prises de vues), ni problème de douane : L'agence de voyage locale Tanezrouft nous a fait rentrer par Bejaia, anciennement Bougie, au lieu d'Alger et c'est le bon choix: Ambiance bonhomme et accueillante dans ce petit aéroport où nous remplissons une vague fiche de douane. La fouille des bagages est très succinte et nous passons facilement GPS et radios Vhf interdites dans nos blousons.
Deux 4x4 et une équipe locale super sympa nous attendent. Notre guide, Abdel Ahmed, Abdou, est un grand Touareg de 27 ans. Il est habillé à l'occidentale, parle mieux anglais que français (les temps changent), rigole tout le temps et comprend rapidement. Posé, il s'avèrera un remarquable négociateur avec les autorités.
Très beaux vols dans les Aurès au dessus de Timgad, ancienne ville romaine, et dans la région, et rencontre d'une équipe d'archéologues assurant la sauvegarde de mosaïques aussi belles qu'à Pompei. Nous en profitons pour leur faire quelques photos aériennes de leur site, tombées du ciel. En raison des attentats qui ont sévis ici encore récemment nous bénéficions d'une escorte permanente de police ou de la sécurité nationale pour assurer notre protection dans les Aurès... mais ambiance très détendue et la population est adorable. Puis descente dans le sud à fond derrière les gyrophares, jusqu'à El Oued où nous sommes. Pas d'autorisation de vol ici pour l'instant, la bureaucratie socialiste est épouvantable, mais nous avons fait un vol de reconnaissance avec l'avion de l'aéroclub local, une copie algerienne de coucou tchèque... we survived !
Etonnants systèmes d'irrigation anciens pour les dattiers et cercles pour la culture de patates en plein essort.
Je mets au point une prise de vue vidéo pour la BBC avec caméra embarquée batterie et gyroscope à faire dans quelques jours.
Patateraies, fantômes et qualification
Nous poursuivons notre reportage sur les oasis algériens pour Géo et National Geographic à El Oued et ne sommes pas au bout de nos surprises; Ici des cratères étaient creusées jusqu'à moins d'1 m de la nappe phréatique pour y planter les palmeraies de dattiers. Tout a parfaitement fonctionné pendant des siècles jusqu'à l'explosion démographique qui a suivi l'indépendance. Les eaux usées non traitées ont pollué la nappe phréatique . L'approvisionnement en eau a alors été assuré par des forages à 100 puis 1600 m. Ce qui devait arriver est arrivé, l'eau profonde rejetée en surface a fait monter le niveau de la nappe phréatique, inondé et détruit le tiers des palmeraies.
El Oued, charmante oasis saharienne ombragée est devenue une agglomération minérale poussiéreuse et embouteillée.
Maintenant la moitié des palmeraies a fait place à d'immenses cultures de patates, irriguées en cercles, d'ailleurs bien visibles sur Google map, et très photogéniques vues de nos paramoteurs.
Nous n'avons pas d'autorisation et dès notre premier vol, à pourtant 25 km d'El Oued, nous sommes rappelés à l'ordre par la sécurité militaire parfaitement renseignée par téléphone arabe dernier cri. Cloués au sol, nous assistons à la récolte des dattes et croisons à chaque coin de rue de superbes spécimens de Peugeot 404, 4L et break Citroën, usées jusqu'à la garde, au charme désuet des vieilles américaines de Cuba.
Nous continuons vers le sud et atteignons Ghardaia où nous sommes chaleureusement accueillis par l'aéroclub local. Sans moyen ils ont construit un appareil avec un moteur de motopompe, une hélice taillée à la main, des attaches en fil électrique... Le résultat est effrayant mais ils ont réussis a faire un vol de 50 m à 3 m de hauteur, l'esprit des pionniers de l'aviation est vivant !
Ghardaia est composée de 7 villages dont celui de Beni Isguen, fief de musulmans traditionnalistes qui refusent farouchement toutes prises de vues.
Il nous faut ruser pour saisir les habitants et en particulier les femmes empaquettées des pieds à la tête dans des tissus blancs qu'elles tiennent à 2 mains pour ne laisser voir qu'un seul oeil. Des groupes de fantômes déambulent dans la rue et nous voici transformés en Ghost Busters.
Les conditions météos sont très favorables et le spectacle en vol est de première classe : Les toits terrasses forment un camaïeu de couleurs pastels superbe et nous sommes largement récompensés de nos levers à 5h du matin, des le premier appel du muezzin, pour profiter de la belle lumière du lever de soleil.
La population est en effervescence car l'Algérie joue les barrages de la coupe du monde contre l'Égypte. Le drapeau algérien fleurit partout même dans mes supentes.
La foule se rassemble dans la rue devant des téléviseurs. Après une victoire lors du match aller, nous assistons le 14 à la défaite algérienne lors du match retour au Caire. 4 jours après nous sommes a Timimoun pour voir le match décisif et la victoire des Algériens, leur qualification en phase finale pour la première fois depuis 1986. C'est le délire total: toutes les voitures, camions, bus recouverts de grappes humaines, agitant des drapeaux, criant et chantant vont parader toute la nuit dans une ambiance incroyable. Le lendemain sur la route de Beni Abbes tout le monde a le sourire, les écoliers manifestent dans les rues et les barrages de police sont très détendus ! A Timimoun les vols ont été difficiles, vent fort et nuages mais l'obstination de George paye et il arrache une fois de plus de superbes clichés. prochaine étapes Beni Abbes, Taghit...
Le Ksar Dra'a
Années 80 Une équipe américaine débarque à Timimoun. Ils recrutent les meilleurs guides de la région, réunissent matériel et vivres et s'enfoncent dans l'Erg de Tinerkourk. Ils traversent une mer de dunes infranchissables et atteignent un mystérieux château fort, superbement isolé, inconnu des habitants de la région. Les guides sont priés de les laisser seuls et de venir les rechercher une semaine plus tard. Personne ne sait comment ils ont trouvé la localisation du Ksar, ce qu'ils sont venus y chercher, ce qu'ils y ont trouvé.
Dimanche 22 novembre 2009 Dans l'hôtel Gourara à Timimoun, je fais connaissance du Dr.Boulbina, sympathique retraité, passionné du sud algérien. Il nous raconte avec enthousiasme l'histoire de ce Ksar préislamique construit par les juifs et nous invite à découvrir ce site étonnant. Avec son aide nous localisons sur Google Earth le Ksar perdu dans les sables N 29°32'6" E 0°11' et étudions différents scénarios d'approche. Il n'existe aucune route d'accès aussi décidons nous d'explorer le terrain dès le lendemain.
Lundi 23
novembre
Munis des coordonnées GPS et des vues satellites sur l'iPhone nous progressons en profitant au mieux des plateaux caillouteux et réussissons à nous approcher à moins de 4 km du Ksar N 29°34' E 0°10'16". Nous repérons une étendue favorable au décollage de nos paramoteurs et notons soigneusement notre piste pour retrouver notre chemin de nuit, le lendemain avant le lever du soleil.
Le soir nous faisons un dernier point avec le guide. En cas de panne moteur il nous faudra traverser à pied les cordons dunaires avec 40 à 50 kgs de matériel sur le dos guidés par nos seuls GPS dont changeons les piles... Si le vent se renforce il nous sera impossible de revenir et il nous faudra nous enfoncer plus avant dans le désert avant de retrouver de nouvelles zones habitées, en croisant les doigts pour que les moteurs ne nous lachent pas en vol...
Mardi 24 5h45 du matin
Nos véhicules quittent l'hôtel bien avant le lever du soleil. Une heure de route plus tard nous sommes à pied d'œuvre. Nous remplissons les réservoirs des paramoteurs jusqu'à plus soif pour nous assurer plus de 2 heures d'autonomie, munissons les gps de piles neuves, vérifions les instruments de vol, accrochons le matériel photo embarqué, et testons une dernière fois nos radios vhf.
Les dieux sont avec nous, le vent fort de ces derniers jours a fait place à une douce brise bien orientée qui nous aidera à décoller.
7h15, l'horizon rougeoie, nous sommes prêts à partir, les moteurs sont démarrés. Après quelques pas, les parapentes se dressent, plein gaz nous décollons et nous dirigeons plein sud. A notre surprise le Ksar est aussitôt visible, se dressant majestueusement, perdu au milieu d'un océan de dunes. Les moteurs ronronnent doucement et nous progressons vers le Ksar Dra'a que nous atteignons enfin.
Son survol révèle une étonnante structure ovale en double muraille, flanquée de quatres tourelles. Pendant 30' nous mitraillons la forteresse sous tous les angles
Le vent s'est levé, il est temps de revenir avant que l'étau ne se referme. Le vent de biais nous oblige à progresser en crabe lentement vers notre équipe d'assistance. Une demi heure plus tard nous nous posons enfin.
J'ai perdu en vol un boulon d'échappement. S'il avait percuté et donc endommagé l'hélice, j'étais bon pour un training de santé. George subira le lendemain la rupture d'un cable électrique et une panne moteur sans conséquence qui aurait été très désagréable pendant ce périple.
Mais pour aujourd'hui mission accomplie : de superbes images sont en boîte et d'excellents souvenirs dans les nôtres !
Les bouibouis
Déjeuner ou diner, il y a toujours un restaurant, une "gargotte", pour se nourrir. L'accueil est toujours toujours chaleureux et le tutoiement de rigueur.
Contrairement aux cafés qui sont aussi en terrasse, les restaus sont en intérieur. Comme aux cafés il n'y a jamais de femme, ni au service, ni à table, et, y-a-t'il un lien ?, l'endroit est toujours sale, voire immonde. Le long des murs, bien à l'abri de la zone de passage, le sol est incrusté de crasse sur 10 cm de largeur. Aux murs, recouverts de peinture historique maculée de traces de doigts, sont accrochés quelques invitations au rêve, posters de la catégorie paysage, trés colorés avec rivière, montagne, ou vue de la Mecque en pur style Lourdes, dans des cadres lourdement ciselés et dorés sur tranche.
Les mouches se régalent avec nous avant de terminer sur le ruban gluant qui pend dans un coin, lorsqu'il reste une place.
La table ou la toile cirée sont collants et si le serveur essuie vaguement la table, ça arrive parfois, le contact reste identique, poisseux.
Sur chaque table une corbeille en plastique, souvent bleu plastique, contient un sac en plastique, qui contient de grand morceaux de baguettes, pas toujours plastiques, souvent bonnes.
Le menu est invariable : Frittes-poulet ou poulet-frittes, il ne fait vraiment pas bon d'être poulet en Algérie...
Mais au menu nous avons aussi la fameuse omelette-frittes (mettre quelques frittes dans une poêle, casser des oeufs, et bien mélanger le tout), et riz pas gluant mais presque.
Heureusement il y a presque toujours un plat tel que loubia (haricots blancs) en sauce, lentilles en sauce pas en boite. Et puis la délicieuse soupe zitoun, assiette d'olives vertes en sauce, du couscous parfois, de bons plats d'abats, tripes, foie et oignons, et salade, et bien sûr chameau et côtelettes de mouton succulentes.
En général on mange avec les doigts en pinçant la nourriture dans un morceau de pain mais la maison offre quelques fourchettes en fer blanc rêvant d'orthodontie.
Pour les boissons, Allah ne délivrant pas de license III, le monde se partage entre coca et pepsi, avec variante algérienne tout aussi désaltérante.
En 1 mois 1/2 nous avons quand même bu 2 bières cachées dans les bars de "grands" hôtels.
Et pour la faim, nous n'avons (presque) jamais été malades !
Bon appétit.
Aïd, Fougara et accident
Ce vendredi 27 novembre le monde musulman fête l'Aïd.
Nous sommes cloués au sol depuis 2 jours par de forts vents rendant impossibles les prises de vues aériennes des fogaras. Il s'agit pourtant d'une pièce cruciale de notre reportage sur les oasis du sud algérien.
Les fogaras sont des tunnels creusés sous le désert sur des kilomètres pour amener l'eau aux jardins des oasis. Pour y parvenir des puits sont réalisés tous les 5-10 m et la terre extraite s'amoncelle autour des puits. Ces puits bien alignés forment des pointillés caractéristiques bien visibles sur Google map, 50 km au sud d'Adrar par exemple.
L'eau est ensuite savamment répartie entre les habitants par d'étonnants systèmes de bassins et canaux dont la taille et l'enchevêtrement témoignent d'héritages et négociations séculaires.
Nous bivouaquons une première nuit dans une tempête de sable et trouvons refuge la nuit suivante à Akabli chez Moktar, un ami de notre guide Abdou. Mais à 5h du matin la tempête a encore redoublé rendant tout espoir de vol impossible et George est désespéré.
Nous nous rendons 150 km plus loin à El Barka pour assister à la célébration de l'Aïd. A 8h tous les hommes du village, envendredichés de leurs plus beaux boubous et turbans alignent leurs tapis vers la Mecque sur 2 lignes tracées au sol.
L'imam chante la grandeur d'Allah avant de partir pour un sermon aussi rasoir que celui des églises à en voir la concentration de l'assistance, entrecoupé des bêlements d'un mouton resté en retrait qui semble se douter qu'aujourd'hui les choses ne tournent pas rond pour lui. Une bonne heure après, la messe est dite, son cou tranché et ses carotides expulsent ses dernières giclées de vie.
Nous suivons Abdou chez ses oncles et assistons impuissants à la décapitation de 4 autres méchouis.
Nous nous consolons rapidement en dégustant cette viande savoureuse, distribuée morceau par morceau par l'hôte à tous les convives (hommes seulement) assis en tailleur autour d'un grand plat commun.
George décide alors une fois de plus de forcer le destin : Nous revenons à Akabli où, 150 km plus tard, le vent est miraculeusement tombé. Nous sommes aussitôt à pied d'oeuvre. Il est 16h et un vol facile nous permet enfin de saisir les images tant convoitées.
Le soleil s'effondre à l'horizon quand apparaît sous nous la voiture de la gendarmerie, gyrophare en action. Nous continuons nos prises de vue en l'ignorant superbement. Nos 4x4 sont cachés à quelques km, à l'ouest, de l'autre côté de l'oasis, et nous nous concertons par radio. George s'élève vers le sud tandis que j'effectue la même manoeuvre vers le nord. Puis nous descendons rapidement de façon à simuler un atterrissage avant de piquer plein ouest au raz du sol pour rejoindre nos véhicules, hors de vue des gendarmes. En quelques minutes tout est plié et rangé dans les véhicules, et nous nous échappons vers le désert tous feux éteints...
Notre plan a parfaitement réussi mais notre joie est de courte durée : Alors que nous nous guidons avec notre positionnement sur les vues satellites de l'iphone, notre chauffeur aperçoit trop tard la falaise. Le véhicule plonge de 3 m de hauteur et plante son nez brutalement dans le sable.
Nous sommes projetés en avant. Le Toyota hésite un instant à capoter avant de retomber vers l'arrière et reste accroché à la rime.
Le moteur s'arrête, nous évacuons au plus vite. A la lueur de la lune nous découvrons avec stupeur la cascade ratée. Heureusement tout le monde est indemne, sans la moindre égratignure !
Nous ne pouvons pas compter sur Europe assistance et il nous faudra une heure pour amasser plusieurs m3 de pierres et de sable pour constituer des rampes sous les roues arrières et désensabler le nez. Nous poussons la voiture de toutes nos forces. Elle glisse cm par cm vers l'avant et se dégage pour se retrouver enfin à pneus fermes. Bien sûr la carrosserie est froissée mais la robustesse légendaire des chameaux Toyota est confirmée : Le moteur repart, nous rechargeons les bagages et repartons, doucement. Le temps et la nuit ont étendu leur écran de protection. A minuit, 200 km plus loin, nous installons enfin le bivouac et nous endormons... trés facilement.